Titre : | L'Âge d'homme, précédé de : De la littérature considérée comme une tauromachie | Auteurs : | Michel Leiris, Auteur | Editeur : | Gallimard, 1996 | Collection : | Folio num. 435 | Importance : | 213 p. | Langues : | Français | | | Résumé : | Né à Paris en 1901, Michel Leiris est à la fois poète, ethnographe, critique d'art et essayiste, mais c'est son œuvre autobiographique qui s'impose nettement comme la partie la plus imposante de son activité d'homme de lettres.
Tout au long de sa vie, Leiris mêlera son nom à certains courants de pensée qui ont marqué d'une empreinte indélébile l'histoire de la littérature et des arts au XXe siècle. Le nom de Leiris se murmure pourtant à peine lorsqu'on parle du surréalisme, du Collège de Sociologie ou de l'existentialisme. Cet homme qui, de son propre aveu, a toujours préféré le rôle de second à l'éclat des premiers rôles, est l'un des plus grands écrivains français du XXe siècle.
Michel Leiris a fait son apprentissage en poésie sous la férule de Max Jacob. En 1922, il rencontre le peintre André Masson qui devient son "mentor". C'est par son intermédiaire que Leiris adhère au mouvement surréaliste. Masson va l'encourager à écrire; le premier livre imprimé de l'écrivain porte la marque du peintre. Simulacre (1925), un recueil de poésies, est en effet orné de lithographies de Masson.
En 1926, Leiris se marie avec Louise Godon et devient le beau-fils de Daniel-Henry Kahnweiler, le célébrissime marchand de tableaux.
A la même époque, Michel Leiris collabore à La Révolution Surréaliste. Il s'y distingue par Glossaire j'y serre mes gloses, de subtiles définitions basées sur des jeux de mots. Le langage apparaît d'emblée comme la préoccupation majeure de l'écrivain, l'objet de son écriture.
Pendant les années vingt, Leiris écrit des textes surréalistes, dont Le Point Cardinal (1927) et Aurora, son unique roman qui ne sera publié qu'en 1946.(...).
En 1929, il rompt avec le surréalisme et devient secrétaire de rédaction au sein de la revue Documents que dirige son ami Georges Bataille. Il y collaborera régulièrement de 1929 à 1930. C'est là qu'il rencontre Marcel Griaule qui lui propose de prendre part à l'une des plus grandes expéditions françaises d'ethnographie du XXe siècle: la mission Dakar-Djibouti (mai 1931-février 1933). Leiris va ainsi parcourir, pendant à peu près deux ans, l'Afrique de l'océan Atlantique jusqu'à la mer Rouge en tant que "secrétaire-archiviste" de la mission Dakar-Djibouti.
L'Afrique donnera à Leiris son premier livre important: L'Afrique Fantôme (1934); il lui doit également son métier d'ethnographe qu'il exerce jusqu'en 1971 au Musée de l'Homme. C'est de L'Afrique Fantôme que date la naissance de deux pratiques conjuguées en un seul et même livre: l'autobiographie et l'ethnographie. Le projet autobiographique est antérieur à la mission Dakar-Djibouti. Leiris tient depuis des années un journal intime, et c'est lors d'une recherche iconographique en 1930 pour Documents qu'il esquisse les premiers traits de ce qui deviendra L'Age d'Homme. Néanmoins, c'est L'Afrique Fantôme qui cristallise pour la première fois le projet autobiographique de Michel Leiris, c'est le premier livre où l'écrivain se donne à voir, s'expose.
C'est un peu faute de mieux que Leiris en est venu à l'autobiographie. Cette boutade de son Journal 1922-1989 est on ne peut plus explicite: «j'aime mieux être premier dans mon village que second à Rome». Leiris ne se faisait donc aucune illusion sur le peu de dignité de son genre littéraire en comparaison de ceux des autres. L'humiliation de cette petite abdication va s'exacerber pour porter l'autobiographie jusqu'à des seuils jamais franchis auparavant: très peu de complaisance envers soi-même, des révélations "honteuses", aucune trace d'héroïsme. L'Age d'Homme (1939), le livre le plus célèbre de Michel Leiris, est un exemple du genre. Il contient toutes les manies du Leiris autobiographe.(...)
n autoportrait incisif, dévalorisant (sans trémolo), imprime d'emblée et rudement sur cette œuvre une effigie qui, à la façon des armoiries, montre la voie où Leiris a choisi d'engager son écriture tout en la distinguant de celle des autres. L'Age d'Homme est en effet le premier livre à strictement parler autobiographique de Michel Leiris. L'Afrique Fantôme est un journal intime, et en tant que tel, il n'échappe pas aux lois du genre (écriture rapide, mouvements d'humeur, etc), tandis que L'Age d'Homme est un livre de confession, minutieusement écrit et mûrement réfléchi. Son auteur y tient le pari de «dire toute la vérité et rien que la vérité». Et c'est justement là que se situe la nouveauté de l'entreprise de Leiris: tout dire, ne rien cacher, dévoiler les moindres petites manies et tics intimes, mettre des défauts au grand jour.
Leiris s'est longuement expliqué là-dessus dans le prière d'insérer de 1939 et dans la célèbre préface de la réédition du livre en 1946: «De la littérature considérée comme une tauromachie». S'exposer dans et par l'écriture est la seule façon capable aux yeux de l'écrivain d' «introduire ne fût-ce que l'ombre d'une corne de taureau dans une œuvre littéraire». Leiris, très épris de tauromachie, emprunte à cet art une métaphore qui l'aidera à préciser sa conception de la littérature. Le torero, c'est lui évidemment; «l'ombre d'une corne de taureau», ce sont tous les périls auxquels ses révélations ne manqueront pas de l'exposer, ne serait-ce que par rapport à son entourage qui peut prendre très mal cette confession publique. Cela demeure la seule façon valable selon l'écrivain de rompre avec une esthétique dénuée de substance, de donner une réalité à son livre, de l'engager dans « autre chose que (des) grâces vaines de ballerine».
Dans la préface de 1946, à un moment où il est imprégné de sa nouvelle amitié avec Sartre, Leiris écrit: «Faire un livre qui soit un acte, tel est, en gros, le but qui m'apparut comme celui que je devais poursuivre, quand j'écrivis l'Age d'Homme».
L'entreprise autobiographique de Leiris dans L'Age d'Homme se ressent fortement de la psychanalyse. L'écrivain a suivi une thérapie psychanalytique avec le docteur Borel qui l'a encouragé à participer à la Mission Dakar-Djibouti. L'écrivain continuera à se faire psychanalyser, d'une façon intermittente, après son retour de l'Afrique. A cet égard, il convient de considérer l'écriture de L'Age d'Homme comme un acte visant à tout liquider pour voir clair en soi-même, pour se libérer de l'emprise de certaines choses inhibitrices. Le terme «catharsis» employé aussi bien dans le prière d'insérer de 1939 que dans la préface de 1946, est clair dans ce sens.
Au regard du titre, «L'Age d'Homme», on peut considérer qu'il ne correspond pas tout à fait au contenu du livre. Le passage de l'écrivain à son âge d'homme est moins manifeste que le fait de passer de la catégorie de l'enfance à une catégorie équivoque. Même les dernières pages dans lesquelles Leiris évoque des épisodes procédant de sa vie d'adulte baignent dans un climat d'irrésolution et d'incertitude inaptes à fixer l'écrivain dans un âge d'homme. Le livre ne se termine d'ailleurs pas avec l'une de ces phrases qui riment avec fin de l'ouvrage; il n'est même pas clos par un point, des points de suspension l'ouvrent sur une béance indéfinie: béance qui préfigure les autres livres où l'écrivain cherchera son âge d'homme (qui deviendra sa règle du jeu peut-être).
La composition de L'Age d'Homme est tout à fait remarquable. Le livre commence par la description physique de son auteur et ne plonge pas comme on pourrait le croire dans un récit rétrospectif. L'ordre chronologique n'est aucunement tenu en compte par l'écrivain. Il lui a restitué une distribution qui repose sur des entrées thématiques. Il s'agit d'une série de variations autour de thèmes auxquels l'écrivain assigne le rôle d'indicateurs de l'évolution de sa personnalité. Une espèce de décompte des souvenirs pour n'en retenir que ceux aptes à éclairer la personnalité de celui qui a «trente-quatre ans». Va-et-vient constant dans ce sens entre les souvenirs qui appartiennent à l'enfance de Leiris et les significations qu'ils entretiennent avec le monde de représentations mentales et affectives de l'écrivain.
Leiris commence par les grandes découvertes de son enfance: la mort, le vieillissement, le suicide, l'infini, l'âme, etc. Il organise ensuite le plus clair du livre autour des figures de Lucrèce et de Judith. Ces deux figures correspondent à l'idée que se fait Leiris de la femme en matière d'amour: «je ne conçois guère l'amour autrement que dans le tourment et dans les larmes; rien ne m'émeut ni ne me sollicite autant qu'une femme qui pleure (Lucrèce), si ce n'est une Judith avec des yeux à tout assassiner». Autour de Lucrèce et de Judith graviteront d'autres images liées par de profondes résonances à ces deux femmes. Leiris qui s'identifie très volontiers à Holopherne (la victime) et non pas à Sextus Tarquin (l'agresseur), écrit à la fin de son livre: «En 1933 je revins (de l'Afrique), ayant tué au moins un mythe: celui du voyage en tant que moyen d'évasion. Depuis, je ne me suis soumis à la thérapeutique (psychanalyse) que deux fois, dont l'une pour un bref laps de temps. Ce que j'y ai appris surtout c'est que, même à travers les manifestations à première vue les plus hétéroclites, l'on se retrouve toujours identique à soi-même, qu'il y a une unité dans une vie et que tout se ramène, quoi qu'on fasse, à une petite constellation de choses qu'on tend à reproduire, sous des formes diverses, un nombre illimité de fois».
C'est cette constellation de choses que l'écrivain a tenu à liquider dans ce livre, c'est cette constellation qui explique aussi la composition de L'Age d'Homme, très beau livre de Michel Leiris. A l'occasion de la réédition de son livre en 1946, Leiris note dans son Journal 1922-1989: «Un livre comme L'Age d'Homme fait de moi une ville qui livre son plan et ses clés». C'est probablement par ce livre qu'il convient de commencer lorsqu'on n'a jamais lu Michel Leiris.
Aziz Daki
http://authologies.free.fr/leiris.htm
| Mots-clés : | thème littéraire autobiographie écrivain intellectuel 20ème siècle relation homme-femme psychanalyse littérature développement de la personnalité | Type : | texte imprimé ; fiction | Genre : | autobiographie | En ligne : | http://authologies.free.fr/leiris.htm |
L'Âge d'homme, précédé de : De la littérature considérée comme une tauromachie [texte imprimé] / Michel Leiris, Auteur . - [S.l.] : Gallimard, 1996 . - 213 p.. - ( Folio; 435) . ISBN : 978-2-07-036435-0 : 5.00 Langues : Français | | Résumé : | Né à Paris en 1901, Michel Leiris est à la fois poète, ethnographe, critique d'art et essayiste, mais c'est son œuvre autobiographique qui s'impose nettement comme la partie la plus imposante de son activité d'homme de lettres.
Tout au long de sa vie, Leiris mêlera son nom à certains courants de pensée qui ont marqué d'une empreinte indélébile l'histoire de la littérature et des arts au XXe siècle. Le nom de Leiris se murmure pourtant à peine lorsqu'on parle du surréalisme, du Collège de Sociologie ou de l'existentialisme. Cet homme qui, de son propre aveu, a toujours préféré le rôle de second à l'éclat des premiers rôles, est l'un des plus grands écrivains français du XXe siècle.
Michel Leiris a fait son apprentissage en poésie sous la férule de Max Jacob. En 1922, il rencontre le peintre André Masson qui devient son "mentor". C'est par son intermédiaire que Leiris adhère au mouvement surréaliste. Masson va l'encourager à écrire; le premier livre imprimé de l'écrivain porte la marque du peintre. Simulacre (1925), un recueil de poésies, est en effet orné de lithographies de Masson.
En 1926, Leiris se marie avec Louise Godon et devient le beau-fils de Daniel-Henry Kahnweiler, le célébrissime marchand de tableaux.
A la même époque, Michel Leiris collabore à La Révolution Surréaliste. Il s'y distingue par Glossaire j'y serre mes gloses, de subtiles définitions basées sur des jeux de mots. Le langage apparaît d'emblée comme la préoccupation majeure de l'écrivain, l'objet de son écriture.
Pendant les années vingt, Leiris écrit des textes surréalistes, dont Le Point Cardinal (1927) et Aurora, son unique roman qui ne sera publié qu'en 1946.(...).
En 1929, il rompt avec le surréalisme et devient secrétaire de rédaction au sein de la revue Documents que dirige son ami Georges Bataille. Il y collaborera régulièrement de 1929 à 1930. C'est là qu'il rencontre Marcel Griaule qui lui propose de prendre part à l'une des plus grandes expéditions françaises d'ethnographie du XXe siècle: la mission Dakar-Djibouti (mai 1931-février 1933). Leiris va ainsi parcourir, pendant à peu près deux ans, l'Afrique de l'océan Atlantique jusqu'à la mer Rouge en tant que "secrétaire-archiviste" de la mission Dakar-Djibouti.
L'Afrique donnera à Leiris son premier livre important: L'Afrique Fantôme (1934); il lui doit également son métier d'ethnographe qu'il exerce jusqu'en 1971 au Musée de l'Homme. C'est de L'Afrique Fantôme que date la naissance de deux pratiques conjuguées en un seul et même livre: l'autobiographie et l'ethnographie. Le projet autobiographique est antérieur à la mission Dakar-Djibouti. Leiris tient depuis des années un journal intime, et c'est lors d'une recherche iconographique en 1930 pour Documents qu'il esquisse les premiers traits de ce qui deviendra L'Age d'Homme. Néanmoins, c'est L'Afrique Fantôme qui cristallise pour la première fois le projet autobiographique de Michel Leiris, c'est le premier livre où l'écrivain se donne à voir, s'expose.
C'est un peu faute de mieux que Leiris en est venu à l'autobiographie. Cette boutade de son Journal 1922-1989 est on ne peut plus explicite: «j'aime mieux être premier dans mon village que second à Rome». Leiris ne se faisait donc aucune illusion sur le peu de dignité de son genre littéraire en comparaison de ceux des autres. L'humiliation de cette petite abdication va s'exacerber pour porter l'autobiographie jusqu'à des seuils jamais franchis auparavant: très peu de complaisance envers soi-même, des révélations "honteuses", aucune trace d'héroïsme. L'Age d'Homme (1939), le livre le plus célèbre de Michel Leiris, est un exemple du genre. Il contient toutes les manies du Leiris autobiographe.(...)
n autoportrait incisif, dévalorisant (sans trémolo), imprime d'emblée et rudement sur cette œuvre une effigie qui, à la façon des armoiries, montre la voie où Leiris a choisi d'engager son écriture tout en la distinguant de celle des autres. L'Age d'Homme est en effet le premier livre à strictement parler autobiographique de Michel Leiris. L'Afrique Fantôme est un journal intime, et en tant que tel, il n'échappe pas aux lois du genre (écriture rapide, mouvements d'humeur, etc), tandis que L'Age d'Homme est un livre de confession, minutieusement écrit et mûrement réfléchi. Son auteur y tient le pari de «dire toute la vérité et rien que la vérité». Et c'est justement là que se situe la nouveauté de l'entreprise de Leiris: tout dire, ne rien cacher, dévoiler les moindres petites manies et tics intimes, mettre des défauts au grand jour.
Leiris s'est longuement expliqué là-dessus dans le prière d'insérer de 1939 et dans la célèbre préface de la réédition du livre en 1946: «De la littérature considérée comme une tauromachie». S'exposer dans et par l'écriture est la seule façon capable aux yeux de l'écrivain d' «introduire ne fût-ce que l'ombre d'une corne de taureau dans une œuvre littéraire». Leiris, très épris de tauromachie, emprunte à cet art une métaphore qui l'aidera à préciser sa conception de la littérature. Le torero, c'est lui évidemment; «l'ombre d'une corne de taureau», ce sont tous les périls auxquels ses révélations ne manqueront pas de l'exposer, ne serait-ce que par rapport à son entourage qui peut prendre très mal cette confession publique. Cela demeure la seule façon valable selon l'écrivain de rompre avec une esthétique dénuée de substance, de donner une réalité à son livre, de l'engager dans « autre chose que (des) grâces vaines de ballerine».
Dans la préface de 1946, à un moment où il est imprégné de sa nouvelle amitié avec Sartre, Leiris écrit: «Faire un livre qui soit un acte, tel est, en gros, le but qui m'apparut comme celui que je devais poursuivre, quand j'écrivis l'Age d'Homme».
L'entreprise autobiographique de Leiris dans L'Age d'Homme se ressent fortement de la psychanalyse. L'écrivain a suivi une thérapie psychanalytique avec le docteur Borel qui l'a encouragé à participer à la Mission Dakar-Djibouti. L'écrivain continuera à se faire psychanalyser, d'une façon intermittente, après son retour de l'Afrique. A cet égard, il convient de considérer l'écriture de L'Age d'Homme comme un acte visant à tout liquider pour voir clair en soi-même, pour se libérer de l'emprise de certaines choses inhibitrices. Le terme «catharsis» employé aussi bien dans le prière d'insérer de 1939 que dans la préface de 1946, est clair dans ce sens.
Au regard du titre, «L'Age d'Homme», on peut considérer qu'il ne correspond pas tout à fait au contenu du livre. Le passage de l'écrivain à son âge d'homme est moins manifeste que le fait de passer de la catégorie de l'enfance à une catégorie équivoque. Même les dernières pages dans lesquelles Leiris évoque des épisodes procédant de sa vie d'adulte baignent dans un climat d'irrésolution et d'incertitude inaptes à fixer l'écrivain dans un âge d'homme. Le livre ne se termine d'ailleurs pas avec l'une de ces phrases qui riment avec fin de l'ouvrage; il n'est même pas clos par un point, des points de suspension l'ouvrent sur une béance indéfinie: béance qui préfigure les autres livres où l'écrivain cherchera son âge d'homme (qui deviendra sa règle du jeu peut-être).
La composition de L'Age d'Homme est tout à fait remarquable. Le livre commence par la description physique de son auteur et ne plonge pas comme on pourrait le croire dans un récit rétrospectif. L'ordre chronologique n'est aucunement tenu en compte par l'écrivain. Il lui a restitué une distribution qui repose sur des entrées thématiques. Il s'agit d'une série de variations autour de thèmes auxquels l'écrivain assigne le rôle d'indicateurs de l'évolution de sa personnalité. Une espèce de décompte des souvenirs pour n'en retenir que ceux aptes à éclairer la personnalité de celui qui a «trente-quatre ans». Va-et-vient constant dans ce sens entre les souvenirs qui appartiennent à l'enfance de Leiris et les significations qu'ils entretiennent avec le monde de représentations mentales et affectives de l'écrivain.
Leiris commence par les grandes découvertes de son enfance: la mort, le vieillissement, le suicide, l'infini, l'âme, etc. Il organise ensuite le plus clair du livre autour des figures de Lucrèce et de Judith. Ces deux figures correspondent à l'idée que se fait Leiris de la femme en matière d'amour: «je ne conçois guère l'amour autrement que dans le tourment et dans les larmes; rien ne m'émeut ni ne me sollicite autant qu'une femme qui pleure (Lucrèce), si ce n'est une Judith avec des yeux à tout assassiner». Autour de Lucrèce et de Judith graviteront d'autres images liées par de profondes résonances à ces deux femmes. Leiris qui s'identifie très volontiers à Holopherne (la victime) et non pas à Sextus Tarquin (l'agresseur), écrit à la fin de son livre: «En 1933 je revins (de l'Afrique), ayant tué au moins un mythe: celui du voyage en tant que moyen d'évasion. Depuis, je ne me suis soumis à la thérapeutique (psychanalyse) que deux fois, dont l'une pour un bref laps de temps. Ce que j'y ai appris surtout c'est que, même à travers les manifestations à première vue les plus hétéroclites, l'on se retrouve toujours identique à soi-même, qu'il y a une unité dans une vie et que tout se ramène, quoi qu'on fasse, à une petite constellation de choses qu'on tend à reproduire, sous des formes diverses, un nombre illimité de fois».
C'est cette constellation de choses que l'écrivain a tenu à liquider dans ce livre, c'est cette constellation qui explique aussi la composition de L'Age d'Homme, très beau livre de Michel Leiris. A l'occasion de la réédition de son livre en 1946, Leiris note dans son Journal 1922-1989: «Un livre comme L'Age d'Homme fait de moi une ville qui livre son plan et ses clés». C'est probablement par ce livre qu'il convient de commencer lorsqu'on n'a jamais lu Michel Leiris.
Aziz Daki
http://authologies.free.fr/leiris.htm
| Mots-clés : | thème littéraire autobiographie écrivain intellectuel 20ème siècle relation homme-femme psychanalyse littérature développement de la personnalité | Type : | texte imprimé ; fiction | Genre : | autobiographie | En ligne : | http://authologies.free.fr/leiris.htm |
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